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Audition du collectif Le Droit du Serf par la Mission Culture Acte 2 de l’exception culturelle.
Audition du collectif par la Mission Culture Acte 2 de l’exception culturelle.
Le collectif était représenté par Sara Doke, Gérard Guéro et Ayerdhal.
La mission était représentée par Pierre Lescure, Juliette Mant et Raphaël Keller.
En préambule, nous avons présenté Le Droit du Serf, en insistant sur la diversité des acteurs du monde du livre qui le composent et les avantages qu’offre cette solidarité multidisciplinaire en matière de réflexion. Puis nous avons rappelé que la filière économique du livre est en France la 1ère des industries culturelles en matière de chiffre d’affaire, alors que, paradoxalement, la situation des créateurs en matière littéraire (auteurs, traducteurs, dessinateurs, etc.) est financièrement la plus précaire de celle de tous les créateurs culturels et artistiques. En effet, avec un revenu moyen avoisinant les 600 € mensuels, les 55 000 auteurs recensés, dont 25 000 publient régulièrement et moins de 1200 gagnent plus que le smic, sont de très loin les acteurs les plus pauvres de toute la chaîne du livre, alors que le fruit de leur travail génère 80 000 emplois salariés dans l’ensemble du secteur.
Nous nous sommes ensuite concentrés sur ce qui concerne spécifiquement la Mission Culture Acte 2 de l’exception culturelle qui, pour mémoire, peut se résumer à « formuler des propositions de dispositifs d’action publique permettant de favoriser le développement des œuvres et des pratiques culturelles numériques et d’assurer l’accès de tous à celles-ci, de soutenir la création et la diversité, de valoriser leurs retombées économiques pour le territoire national, et de lutter contre la contrefaçon commerciale. »
Nous avons ainsi fait valoir que :
– Par l’abaissement conséquent des coûts de fabrication, de stockage, de promotion et de diffusion, la publication numérique des œuvres littéraires offre l’opportunité de rééquilibrer les relations économiques et contractuelles entre les différents acteurs de la chaîne du livre et, conséquemment, celle de valoriser financièrement le travail des auteurs. Il convient donc de trouver un modus vivendi et de prendre des dispositions qui rendent ce rééquilibrage possible, ce que les nouvelles exceptions introduites dans le Code de la propriété intellectuelle mettent en péril puisqu’elles affaiblissent le droit de l’ayant droit moral au profit de celui de l’ayant droit patrimonial. Le discours du Syndicat national de l’édition est sur ce point symptomatique, particulièrement lorsqu’il prétend que la question du support de l’œuvre est seconde pour revendiquer un droit de suite éditorial exclusif sur toutes les formes d’exploitation de l’œuvre.
– Si le numérique permet théoriquement aux auteurs d’améliorer leur situation et leur condition, il génère ses propres écueils dont le seul médiatisé, sous le terme générique et abusif de piratage, est la contrefaçon commerciale. La contrefaçon commerciale ne doit pas être confondue avec la notion de partage, que celui-ci soit légal, donc entre dans le cadre de l’exception de copie privée, ou illégal, c’est-à-dire sortant du cercle de famille ou d’amis proches, même sans contrepartie financière.
– Le Droit du Serf se sent très concerné par les dangers que la contrefaçon commerciale fait peser sur la pérennité du métier d’auteur, puisque aucune œuvre culturelle ou artistique ne pèse moins lourd en nombre d’octets qu’un ouvrage littéraire qui, quelle que soit la méthode employée, peut circuler sous forme numérique à une vitesse extraordinaire, sans déperdition de contenu (par rapport aux fichiers audio, visuels ou audiovisuels que l’on est obligé de compresser, donc d’appauvrir, pour faciliter le transfert). Ainsi, techniquement, il ne faut pas plus de temps ni d’espace mémoire pour transférer 1000 romans impeccablement numérisés qu’un seul film mal encodé, or il existe déjà des packs de centaines de titres réunis en un seul répertoire qui circulent sur le web, et ce seront peut-être de véritables bibliothèques qui leur succéderont.
– Le Droit du Serf a aussi une conscience aiguë de l’impossibilité d’empêcher les contrefaçons numériques d’être diffusées sur la toile ou par d’autres voies numériques sans recourir à des lois, à des techniques de surveillance et à des rétorsions tellement coercitives qu’elles s’apparenteraient aux mesures liberticides à laquelle aucune démocratie ne devrait s’abaisser. Le collectif se demande d’ailleurs sur quelle base légitime le partage d’œuvres, qu’il s’agisse d’un don ou d’un prêt, pourrait être légal sous la forme matérielle et illégal sous une forme immatérielle. En outre, puisque la pénalisation du partage ne permettrait pas d’assurer l’accès à tous des œuvres culturelles numériques, il est d’autant plus aberrant d’incriminer le lecteur « fautif » que plusieurs études ont montré que les utilisateurs de contenus illégaux sont aussi les plus gros consommateurs légaux de biens culturels et qu’ils participent pour beaucoup à leur diffusion au sens promotionnel du terme.
– Par contre, les services publics doivent lutter aussi efficacement contre la contrefaçon commerciale numérique que contre la contrefaçon commerciale physique, et mettre en place un dispositif juridique qui pénalise fortement la marchandisation illégale des œuvres numériques. En sus de la poursuite des sites qui tirent profit de la contrefaçon, de manière directe (ventes ou abonnements) ou indirecte (revenus publicitaires), ce dispositif permettrait de condamner lourdement les annonceurs qui financent les contrefacteurs par le biais de la publicité, de l’annonce ou de liens vers leurs propres sites. Les amendes ainsi récoltées seraient reversées à une société de gestion qui se chargerait de les répartir aux ayants droit.
– D’une manière plus générale, plutôt qu’instituer une taxation supplémentaire de tous les usagers d’outils numériques ou de tous les clients de fournisseurs d’accès pour contrebalancer l’éventuel manque à gagner des ayants droit provoqué par les échanges numériques non marchands et non « sponsorisés », le Droit du Serf propose de créer une taxe supplémentaire sur la publicité en ligne. Cette taxe serait elle aussi versée à une société de gestion chargée de la répartir aux ayants droit.
– Même si cela sort quelque peu de la problématique propre à la création numérique, l’augmentation régulière des cotisations et des contributions sociales, ainsi que l’apparition plus récente d’une contribution à leur propre formation, le tout pendant que leurs revenus ne cessent de diminuer, participent aussi à la paupérisation des auteurs. Or, puisque les auteurs sont les premiers contributeurs à la culture et à l’éducation de tous les citoyens et que la Mission a pour vocation de soutenir la création, il ne serait pas inconvenant de soumettre les revenus d’auteur à un abattement fiscal supplémentaire plafonné et d’instituer un crédit d’impôt majoré pour les auteurs non-imposables.
– Un pourcentage significatif du prix de vente HT des œuvres tombées dans le domaine public et commercialisées par voie d’édition physique ou de diffusion numérique devrait être versé à une société de gestion qui se chargerait de sa répartition auprès des auteurs en activité.
– Le livre numérique ne doit pas être assimilé à une licence d’utilisation (cf. celle des applications logicielles), en l’occurrence de lecture, mais être la propriété de l’acquéreur qui bénéficiera au même titre que l’acquéreur du livre physique de l’exception de copie privée. La différence entre les deux supports consistant dans l’interdiction de revente d’un ouvrage numérique, assimilable à une contrefaçon. Ce, bien que le livre physique soit l’objet d’un commerce d’occasion sur lequel les auteurs ne perçoivent heureusement aucun droit (équivalant par exemple au droit de suite concernant les œuvres graphiques et plastiques de l’Article L122-8 du Code de la propriété intellectuelle).
Dans une deuxième phase, nos interlocuteurs nous ont posé des questions sur les sujets que nous avons abordés pour préciser différents points, notamment pour comprendre pourquoi nous préférons le principe de la société de gestion à celui de la subvention (type CNL) et comment nous envisageons la répartition. Ce qui nous a permis d’expliquer que l’équité de répartition, par opposition à la répartition au chiffre de vente, est la seule garantie que ceux dont la situation est la plus précaire bénéficieront utilement des sommes reversées.
Avant de se quitter, Pierre Lescure a suggéré que Juliette Mant reste en contact avec nous et nous tienne informés de l’avancée des travaux de la Mission, se réservant la possibilité d’une autre rencontre courant février pour approfondir certains points.
En conclusion, nous avons le sentiment d’avoir été écoutés par des gens qui ont une bonne connaissance du sujet, sont sensibles aux problématiques que nous avons abordées et semblent avoir été intéressés par certaines de nos propositions.
Rencontre du collectif avec la Mission sur l’adaptation du contrat d’édition à l’heure du numérique
Rencontre du collectif avec la Mission sur l’adaptation du contrat d’édition à l’heure du numérique :
Le collectif était représenté par Sara Doke, Gérard Guéro et Ayerdhal.
La mission était représentée par Pierre Sirinelli et Liliane de Carvalho.
Pour rappel, la lettre de Mission sur l’adaptation du contrat d’édition à l’heure du numérique précise que : « La Ministre veut garantir le développement du marché du livre numérique dans un contexte équilibré pour les auteurs et les éditeurs et considère qu’il serait regrettable de renoncer à ce stade aux nombreux points de consensus qui ont pu émerger durant cette année de dialogue. La ministre a souhaité confier au professeur Sirinelli, le soin de poursuivre son travail de médiation qui permettra de faire progresser la discussion sur le contrat d’édition à l’ère numérique dans le contexte plus global des relations contractuelles liant l’auteur à son éditeur. La Ministre souhaite que la reprise des discussions entre auteurs et éditeurs aboutisse à un accord qui permette une adaptation pertinente des règles propres au contrat d’édition dans le secteur du livre. »
Le dialogue auquel se réfère la Ministre concerne les négociations autour du livre numérique, dans le cadre du Conseil Supérieur de la Propriété littéraire et artistique (CSPLA), entre le Syndicat national de l’édition (SNE) et le Conseil permanent des écrivains (CPE), assimilés à des partenaires sociaux.
Voir : http://www.conseilpermanentdesecrivains.org/Communique_presse_21juin2012.htm
Association de fait, Le Droit du Serf ne fait pas et ne peut pas faire partie du CPE – c’est entre autres pour cela que plusieurs parmi le collectif ont adhéré au Syndicat des écrivains de langue française (SELF) qui est, lui, membre du CPE. En nous recevant, la Mission sur l’adaptation du contrat d’édition à l’heure du numérique nous donnait l’opportunité de faire entendre une voix qui diffère quelque peu du consensus auquel les associations constituant le CPE sont obligées de parvenir avant même de discuter avec le SNE. Et ce n’est pas à une audition que nous avons été conviés, mais à un échange.
Si Pierre Sirinelli nous a rapidement signifié qu’il n’entendait pas aborder la loi sur la numérisation des livres indisponibles du XXe siècle, parce que celle-ci n’entre pas dans le cadre spécifique de sa mission, nous nous sommes néanmoins exprimés sur un point concomitant à la loi du 1er mars 2012 et aux adaptations du contrat d’édition, du code des usages en littérature générale et du code de la propriété intellectuelle :
– Le classement comme « indisponible » d’un ouvrage devrait se substituer à la preuve que l’auteur doit fournir que l’éditeur est en défaut d’exploitation et induire la restitution des droits patrimoniaux à l’auteur, puisque l’obligation d’exploitation permanente et suivie de l’éditeur n’est pas respectée et qu’elle entraîne la résiliation de plein droit de la cession.
Nous avons par la suite présenté notre point de vue sur le contrat d’édition proprement dit :
– Sa durée, qui ne devrait pas s’étendre sur celle de la propriété littéraire et, en matière numérique, ne pas excéder quelques années.
– L’obligation de contrat séparé entre l’édition papier et l’édition numérique, à l’instar de ce qui se pratique avec les contrats d’adaptation audiovisuelle.
– La clause de revoyure, qui doit obliger les deux parties à rediscuter si besoin les termes de l’un ou l’autre contrat à la fin de chaque période de cession.
– La réduction des délais de réaction imposés à l’éditeur en cas de mise en demeure pour défaillance au contrat.
Puis nous avons discuté de ces points et d’autres sous leurs différents aspects, notamment celui du rôle de médiation qui préside aux travaux de la Mission et celui d’empêcheur d’asservir en rond les précaires du secteur du livre qui motive le DdS.
Comme Pierre Sirinelli et Liliane de Carvalho connaissaient bien les différentes actions du Droit du Serf avant que nous les rencontrions et que, quelques heures plus tôt, nous avions eu accès aux propositions provisoires de la Mission (à l’intention du SNE et du CPE, chargés de les annoter et d’y ajouter les leurs) pour la révision du contrat d’édition et du code des usages, la discussion a été très ouverte et très franche.
Il en ressort que la Mission a parfaitement conscience de nos problèmes et qu’elle s’efforce de les prendre en compte. Nous nous souhaitons qu’elle y parvienne.