Recours pour Excès de Pouvoir contre le décret publié au JO le 1er mars 2013 portant application de la loi du 1er mars 2012 sur la numérisation des œuvres indisponibles du XXe siècle
Le 2 mai, notre avocat a déposé au Conseil d’État un Recours pour Excès de Pouvoir contre le décret publié au JO le 1er mars 2013 portant application de la loi du 1er mars 2012 sur la numérisation des œuvres indisponibles du XXe siècle.
Les capacités juridiques du Droit du Serf étant limitées par sa situation d’association de fait, la requête a été effectuée au nom de deux d’entre nous (Sara Doke et Ayerdhal), dont l’appartenance au collectif est dûment mentionnée.
Cette requête porte sur les multiples violations de la loi que compte le décret, contraire à la Convention de Berne, au Traité de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), au droit de l’Union européenne, ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il n’est en outre pas conforme à la loi du 1er mars 2012 (sic).
– En prenant pour objet l’exploitation numérique des livres indisponibles, le décret comme la loi font fi du principe essentiel de la protection du droit d’auteur énoncé par la Convention de Berne (articles 2.1, 2.5) qui, se référant à la seule création immatérielle (intellectuelle), induit que la propriété corporelle est indépendante de la propriété incorporelle. En d’autres termes : on ne numérise (et on n’exploite) pas un objet-livre, mais une œuvre de l’esprit.
– En fixant des procédures pour que les titulaires de droits d’auteur puissent s’opposer à l’inscription de leurs livres dans la base de données des indisponibles et à la gestion collective de leurs droits d’exploitation numérique, le décret organise une formalité prohibée par la Convention de Berne (art. 5.2) et le Traité de l’OMPI (déclaration commune sur l’article 12).
– En ne prévoyant pas qu’une autre personne que l’auteur puisse faire jouer son droit moral, le décret exclut les héritiers du mécanisme mis en place, en complète contradiction avec la Convention de Berne (art. 6 bis et 7 § 1) et la tradition juridique française qui font du droit moral un droit perpétuel (art. L 121-1 du CPI).
– En contraignant l’auteur à apporter la preuve qu’il est seul titulaire de ses droits, le décret et la loi contreviennent au principe de présomption de titularité de l’auteur sur son œuvre, violant ainsi la Convention de Berne (art. 15.1) et la directive 2004/48/CE (art. 5) du Parlement européen. Violation d’autant plus grave qu’elle impose à l’auteur une « preuve diabolique » puisqu’il lui revient de prouver un fait négatif : l’absence de cession des droits numériques.
– Le décret, comme la loi qu’il applique, est non-conforme au « test en trois étapes » (http://www.admin.ch/ch/f/rs/0_231_151/a10.html) prévu par la Convention de Berne, l’accord sur les ADPIC, le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et la directive européenne 2001/29. En effet, le dispositif porte atteinte à l’« exploitation normale » de l’œuvre et n’a pour effet que de faciliter l’acquisition des droits numériques par l’éditeur sans obtenir le consentement de l’auteur ; or, si le livre est qualifié d’indisponible, c’est que la résiliation de plein droit pour défaut d’exploitation pourrait opérer. En outre, puisque seule la défaillance de l’éditeur provoque l’indisponibilité d’une œuvre, l’auteur ne devrait pas avoir à partager le fruit de l’exploitation numérique de celle-ci avec lui. Cela cause un « préjudice injustifié » à ses « intérêts légitimes ».
– Le décret et la loi qu’il applique créent une nouvelle exception au droit d’auteur : cela contrevient à la directive 2001/29 (considérant 32) contenant une liste exhaustive des exceptions et limitations au droit de reproduction et au droit de communication au public et à son objectif d’harmonisation visant à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur.
– Puisque la société de gestion agréée est investie d’une mission d’instruction, impliquant une interprétation du droit et des faits qui lui sont soumis, et dispose d’une faculté de rejet de l’opposition de l’auteur, donc du pouvoir d’instruire les demandes d’oppositions, il résulte qu’elle constitue un tribunal au sens de la Convention européenne des droits de l’homme et qu’elle doit respecter l’exigence d’impartialité. Or, c’est une véritable partialité, assimilable au conflit d’intérêt, qu’instituent la loi et le décret. Partialité subjective de par la composition paritaire de la société de gestion, au sein de laquelle l’éditeur d’origine du livre est à la fois représenté et représentant, et de par l’intérêt propre de la société de gestion. Partialité objective de par la constitution d’un comité scientifique, en majorité paritaire entre auteurs et éditeurs, qui établit la liste des indisponibles figurant dans la base de données de la BnF, au sein duquel peuvent figurer des personnes appelées à juger de l’opposition au registre, voire, comme cela a déjà été le cas (cf. François Gèze, PDG des éditions de la Découverte), de favoriser leur production dans l’établissement de la liste. L’article 6 § 1 de la Convention EDH n’est pas respecté.
– Le décret d’application n’est pas conforme au texte législatif, puisqu’il dispose que la liste des livres indisponibles est arrêtée par un comité scientifique quand la loi disposait que toute personne peut demander à la BnF l’inscription d’un livre dans la base de données. On voit bien ici que, loin de favoriser l’accès du public à des livres indisponibles, il s’agit en réalité de permettre aux éditeurs de bénéficier de l’exploitation numérique au mépris des droits d’auteur.
Maintenant que la requête est déposée, le Conseil d’État va la communiquer au gouvernement et lui impartir un délai d’un ou deux mois pour répondre à nos arguments. Il sera alors possible de présenter des observations complémentaires et de déposer une QPC. Il sera aussi possible, dans les jours qui viennent et pour qui le souhaite, de se joindre à la requête pour lui donner du poids. Plus on est de serfs, moins nous sommes taillables et corvéables à merci.
Nos arguments sont solides. Le travail réalisé par Me Stéphanie Delfour et Franck Macrez est irréprochable. Néanmoins le combat sera rude, s’étalera sur des mois et il est impossible de préjuger du résultat.
Ce qui est certain, comme nous le répétons depuis plus d’un an sans être entendus ni pris au sérieux, c’est que nous ne lâcherons pas.
Nous tenons à remercier vivement tous ceux – chacun se reconnaîtra – qui ont donné de leur temps, de leurs compétences ou de leur porte-monnaie pour la mise en œuvre de cette action, ainsi que tous ceux qui n’ont pu nous soutenir que moralement, faute d’être les millionnaires libres de toute contrainte que certains médias laissent accroire.
NB : Lors du dépôt du REP, quelques heures avant la deadline, aucun autre recours n’avait été formé. S’il est évident que la SGDL, mouillée jusqu’au cou dans l’élaboration de cette loi et dans la promotion d’icelle et de ses conséquences, n’allait pas se tirer une balle dans le pied, c’est pour le moins surprenant de la part d’autres associations, notamment d’auteurs, qui ont pourtant, parfois, exprimé des critiques acerbes contre les aberrations de l’usine à gaz que le décret instaure. Nous espérons néanmoins que certaines d’entre elles choisiront de nous appuyer ou de nous rejoindre dans notre requête.
N’importe qui peut demander l’ajout d’un ouvrage à la base de données des indisponibles. Il suffit de lire la FAQ : http://relire.bnf.fr/foire-aux-questions#st4-1
Vos arguments sont étayés et légitimes, mais sur ce point, cela ne fait pas très sérieux…
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Ajoutez votre grain de sel personnel… (facultatif)
Bonjour RM
« Vos arguments sont étayés et légitimes, mais sur ce point, cela ne fait pas très sérieux… »
Ce que dit le droit du serf :
« Le décret d’application n’est pas conforme au texte législatif, puisqu’il dispose que la liste des livres indisponibles est arrêtée par un comité scientifique quand la loi disposait que toute personne peut demander à la BnF l’inscription d’un livre dans la base de données. »
Ce que dit la FAQ de RElire
Vous avez raison, RM :
Qui peut proposer l’ajout d’un livre dans ReLIRE ?
Toute personne peut demander l’ajout d’un livre indisponible dans ReLIRE. Cette possibilité n’est pas réservée aux auteurs, ayants droit d’auteurs ou aux éditeurs des livres concernés.
Mais :
« Comment sera traitée la demande d’ajout d’un livre dans le registre ?
Les informations relatives au livre seront soumises au comité scientifique qui examinera la demande d’ajout de ce livre au registre. Si la demande est validée, le livre figurera dans la nouvelle liste publiée le 21 mars suivant. »
La position du droit du serf est donc cohérente.
C’est bien un comité scientifique qui gère le processus.
Et il faut voir qui est membre du comité scientifique.
http://relire.bnf.fr/registre-premiere-phase
Représentants des éditeurs du comité scientifique :
Alban Cerisier (Gallimard : Avec un chiffre d’affaires de 253 millions d’euros en 2011, Gallimard publie 1 500 nouveautés par an et compte 1 000 salariés),
François Gèze (La Découverte: La Découverte a réalisé en 2011 un chiffre d’affaires net de 5,150 millions d’euros. Publie 135 nouveautés par an),
Christophe Bataille (Grasset, Hachette Livre, avec un chiffre d’affaires (CA) en 2010 aux alentours de 2,16 milliards d’euros. « Le groupe, qui possède entre autres Armand Colin, Stock, Grasset et Harlequin, arrive encore en tête du classement annuel établi par le magazine Livres Hebdo ». Les éditions Grasset ont réalisé 17,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2007.)
En clair, un comité scientifique de gros/moyens éditeurs, mais où est le représentant des petits éditeurs ?
Lorsqu’on vous dit que :
Ce comité, constitué par arrêté du ministre chargé de la culture, est majoritairement composé de représentants des auteurs et des éditeurs. Il permet à ces derniers d’être étroitement associés à l’établissement de la liste des livres indisponibles et assure ainsi la meilleure prise en compte des intérêts de tous.
On se demande si on a bien pris en compte les problèmes des petits éditeurs (60 à 70 % des éditeurs) qui voient débouler d’un coup plusieurs de leurs oeuvres dans la base RElire.
Alors qu’ils ont déjà un agenda de publication pré-rempli,
un agenda serré en temps et surtout en monétaire,
ils se voient – en cas d’opposition de leur part – obligés de republier des oeuvres anciennes (sous deux ans) ou d’ouvrir un site Internet pour vendre les oeuvres numérisées.
Autant dire qu’une majorité de petits éditeurs ne pourra pas s’opposer…
… s’opposer à être dépouillé.
Ça va même plus loin :
« Ou plus de 80 titres pris au Dé Bleu, dont Pinson, Piquet, Piccamiglio, Vercey, Josse, Sacré encore, Dreyfus qui depuis que Louis Dubost a pris il y a 2 ans sa retraite d’enseignant et d’éditeur, ont tous repris leurs droits et la liberté de republier ces oeuvres dont ils ont besoin parce qu’elles sont leur vie. Et accessoirement, on mutile le courageux Cadex, qui a repris une part des livres en stock pour assurer la continuité du travail de Louis. »
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3464
Là, on n’attend plus, on se sert sur le cadavre encore chaud.
Bizarre comité scientifique
Dont on aimerait bien connaître la « démarche scientifique ».
Et on se demande encore plus : mais pourquoi n’y a-t-il pas le nom de la personne ou de l’éditeur qui a placé l’oeuvre dans la base RElire ?.
Si c’est vraiment scientifique, pourquoi cacher cette information ?
Oui, pourquoi la cacher ?
Si j’étais auteur concerné par cette base, j’irais jusqu’à exiger de connaître la démarche scientifique qui place mes oeuvres dans cette base. Sans oublier de savoir à qui je dois le cadeau de multiples tracasseries administratives.
Bien cordialement
B. Majour
Il n’y a strictement aucune raison que qui que ce soit touche des droits sur quelque chose qu’il ne peut fournir. Je suis pour une juste rémunération des auteurs pour leurs œuvres et contre le piratage d’icelles. Mais ceci dans la mesure où ces œuvres sont disponibles à la vente. Des droits ne peuvent être attribués qu’en l’existence de devoirs en contrepartie. Quant à cet héritage d’un autre siècle que sont ces parasites nommés les ayant droits, il doit être dépoussiéré car rien ne justifie son maintien en l’état. Voit-on par exemple les enfants d’un opéré continuer à donner de l’argent à la famille d’un chirurgien des années après le décès de celui-ci ? Dois-je donner une rente à vie au garagiste qui a changé mon embrayage voici 40000 kms ? Et à ses héritiers pendant 50 ans ? Il faut arrêter même de ne considérer le client que comme un cochon de payant taillable à merci…….